Géolocalisation

Un système de géolocalisation peut-il être exploité comme preuve pour un licenciement ?

Publié le : 07/06/2023 07 juin juin 06 2023

Par deux arrêts du 22 mars 2023 (n°21-22.852 et n°21-24.729), la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur l’utilisation par l’employeur de données collectées par un dispositif de géolocalisation installé sur les véhicules professionnels de salariés afin de fonder le licenciement de ces derniers pour avoir utilisé ces véhicules à des fins personnelles.

Le dispositif de géolocalisation permettant un contrôle du temps de travail du salarié doit être licite.

L’employeur tient du contrat de travail un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.[1] En application de ce principe, l’employeur peut donc mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail de ses salariés.

Toutefois, l’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Ainsi, d’une part, la mise en place d’un dispositif de géolocalisation doit être justifiée, notamment par des considérations de sécurité ou de suivi du temps de travail des salariés.

D’autre part, le pouvoir de contrôle de l’employeur doit être mis en balance avec le droit à la vie privée du salarié qu’il tient de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 9 du Code civil ainsi que le principe de loyauté ; le dispositif doit être proportionné au but recherché.

En premier lieu, le dispositif de géolocalisation ne peut être mis en place que si le contrôle de la durée du travail des salariés ne peut pas être opéré par un autre moyen, fût-il moins efficace.[2]

Dans la première espèce (n°21-22.852), le recours à la géolocalisation n’était pas indispensable pour assurer le suivi du temps de travail des salariés de l’entreprise puisque cette dernière avait l’obligation réglementaire d’enregistrer la durée du temps de travail au moyen d’un livret individuel de contrôle rempli quotidiennement par les intéressés.

Également, la Cour de cassation, dans les deux arrêts commentés, retient que pour ne pas être disproportionné au regard du droit à la vie privée du salarié, le dispositif ne doit pas assurer un contrôle de ce dernier en dehors de son temps de travail. Les dispositifs étaient donc en l’espèce disproportionnés.

En second lieu, la mise en œuvre du dispositif doit être loyale et satisfaire à l’obligation de transparence.

S’agissant de l’obligation de loyauté, le dispositif ne peut constituer un mode de contrôle clandestin et ne doit pas résulter d’un quelconque stratagème.[3]

S’agissant de l’obligation de transparence, préalablement à la décision de mise en place du dispositif de contrôle de l’activité des salariés, le comité social et économique doit être informé et consulté sur les moyens ou les techniques permettant ce contrôle.[4]

Par ailleurs, l’article L. 1222-4 du Code du travail prévoit que la mise en place de dispositifs de contrôle des salariés doit avoir été portée personnellement à la connaissance du salarié : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »

Le dispositif de contrôle doit également satisfaire aux exigences imposées par la réglementation sur la protection des données personnelles.[5] S’il n’est aujourd’hui plus question de déclarer à la CNIL[6] la mise en place d’un tel dispositif, les entreprises, responsables de traitement, doivent assurer le respect d’un certain nombre de garanties. Le salarié doit notamment être informé sur la finalité du traitement ainsi que sur la nature des données collectées.

Dans la première espèce (n°21-22.852), ni la mise en œuvre du système de géolocalisation ni la finalité poursuivie ni la nature des données collectées par ce système n’avaient été portées personnellement à la connaissance du salarié.

Ainsi, dans les deux espèces, les dispositifs mis en place et utilisés afin de rapporter la preuve de la faute commise par les salariés ont été jugés illicites, et donc par principe irrecevables.

Le dispositif illicite de géolocalisation peut constituer un moyen de preuve recevable sous conditions.

L’employeur a la charge de la preuve de la faute qu’il reproche au salarié. Il ne peut cependant pas se fonder sur un mode de preuve illicite.

Depuis fin 2020[7], la Cour de cassation admet toutefois, sur le fondement des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, que sous certaines conditions, l’illicéité d’un mode de preuve n’entraîne pas automatiquement son irrecevabilité.

La première espèce (n°21-22.852) nous apprend que le juge n’étant pas tenu de rechercher si le droit à la preuve peut justifier la recevabilité d’une pièce illicite, ce moyen doit être invoqué par les parties.

Le droit à la preuve peut justifier la production d’une preuve illicite dès lors que cette production est indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte aux droits et libertés qui en résulte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Pour que la production de l’élément de preuve soit indispensable, il faut qu’elle soit l’unique moyen de permettre à la partie de faire valoir ses droits.

La production de l’élément de preuve doit être strictement proportionnée aux intérêts en présence, tel que le droit à la vie privée du salarié.

Dans la seconde espèce (n°21-24.729), la Cour de cassation conclut que la cour d’appel aurait dû rechercher si la production des éléments était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte à la vie privée du salarié en résultant était strictement proportionnée au but poursuivi. Elle a donc cassé l’arrêt d’appel ayant admis la preuve résultant de l’extraction des données du système de géolocalisation du salarié en dehors de son temps de travail, en ce qu’elle porte une atteinte excessive au droit à la vie privée de celui-ci.
 
Ces arrêts sont ainsi une nouvelle illustration du contrôle de proportionnalité opéré par la Cour de cassation en matière de preuve dans le cadre d’un litige prud’homal.


Cet article a été rédigé par Noémie PAINCHART, Juriste au sein du cabinet ORVA-VACCARO et Associés. Il n'engage que son auteur.
 
[1] Cass. Soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187
[2] Cass. Soc., 19 décembre 2018, n°17-14.631
[3] Cass. Soc., 4 juillet 2012, n°11-30.266 ; Cass. Soc., 17 mars 2021, n°18-25.597
[4] Code du travail, article L. 2312-38 ; Cass. Soc., 7 juin 2006, n°04-43.866
[5] Règlement général sur la protection des données personnelles 2016/679 du 27 avril 2016 ; Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
[6] Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
[7] Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058 ; Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523

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