Marque et forclusion par tolérance: connaissance de l'usage et détermination des produits pour lesquels la marque postérieure a été utilisée
Cass. com, 5 juill. 2016, pourvoi n° 14-18540
L’affaire opposait L'Oréal, titulaire de la marque communautaire « Noa » à la société Cosmetica Cabinas, titulaire d’une marque communautaire « Ainhoa » postérieure. L'Oréal assigne Cosmetica Cabinas en contrefaçon de sa marque« Noa ». Cette dernière lui oppose une fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance. La chambre commerciale de la Cour de Cassation rejette le pourvoi et confirme la décision de la Cour d’Appel de Paris accueillant une fin de non-recevoir tirée de la forclusion par tolérance.
S’agissant en l’espèce de marques communautaires, la Cour de cassation met en œuvre les critères de la forclusion par tolérance tirés de l’article 54 du règlement (CE) n°207/2009 (1) reproduit ci-après :
Le titulaire d'une marque communautaire qui a toléré pendant cinq années consécutives l'usage d'une marque communautaire postérieure dans la Communauté en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s'opposer à l'usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque communautaire postérieure n'ait été effectué de mauvaise foi.
La Cour se prononce sur la détermination des produits et/ou des services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée mais également sur le critère de la connaissance de l’usage.
S’agissant de la connaissance de l’usage, la Cour de cassation relève que L’Oréal avait « nécessairement connaissance » de l’exploitation de la marque postérieure ou encore que la Cour d’Appel a caractérisé « la connaissance de cet usage avec un degré de certitude suffisant par la société titulaire de la marque antérieure ». Au soutien de cette position, la Cour se réfère à différents éléments factuels, à savoir : les nombreuses et régulières annonces publicitaires pour les produits de la marque postérieure, la promotion des deux marques dans les mêmes publications, la participation des deux sociétés aux mêmes salons (lors duquel les produits de la marque postérieure étaient présentés) et adhésion des deux sociétés à la même association de parfums et cosmétiques.
Ce faisant, la Cour renvoie à un faisceau d’indice laissant présumer que le titulaire de la marque antérieure ne pouvait vraisemblablement pas ignorer l’existence de la marque postérieure. Cette appréciation est assez différente de celle du Tribunal de l’Union Européenne qui, dans une décision antérieure de quelques mois à l’arrêt commenté (TUE, 20 avr. 2016, T-77/15), rappelle qu’il s’agit d’apporter « la preuve de l’existence d’une connaissance effective » et que le « motif de forclusion est applicable lorsque le titulaire de la marque antérieure a sciemment toléré l’usage pendant une longue période, ce qui veut dire délibérément ou en connaissance de cause ». Par conséquent, le tribunal rejette « les arguments de la requérante visant à faire valoir en substance qu’il serait suffisant de prouver la connaissance potentielle par BSkyB de l’usage de la marque contestée ou d’établir des indices concordants donnant lieu à présumer l’existence d’une telle connaissance. ».
S’agissant de la détermination des produits et/ou des services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, la Cour de Cassation a estimé que la marque postérieure « désignant les « produits cosmétiques « en classe 3 et les parties n’ayant fait état d’aucune sous catégories susceptibles d’être envisagée de manière autonome, la cour d’appel n’était pas tenue d’identifier précisément dans cette catégorie les produits dont il était fait usage au sein de cette classe par la société Cosmetica Cabinas. »
Certes ce point n’a apparemment pas fait l’objet d’un débat entre les parties en appel, ce qui introduit certainement un ingrédient procédural spécifique. Reste que le principe est que la forclusion par tolérance est limitée aux produits ou aux services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée. La forclusion devrait donc être admise pour un ou plusieurs produits identifiés et non pas pour un groupe de produits tels que « produits cosmétiques » alors même que l’exploitation de la marque postérieure n’était manifestement pas démontrée pour l’ensemble des produits cosmétiques visés en classe 3.
La haute juridiction adopte donc une position globalement favorable au titulaire de la marque postérieure sur qui pèse la charge de la preuve. En effet ce dernier n’a pas à démontrer la connaissance de sa marque de manière certaine ou effective mais seulement une potentialité (élevée) de connaissance de ladite marque. Il n’a pas non plus à démontrer d’exploitation produit par produit pour lesquels la marque postérieure aurait été utilisée et peut obtenir la forclusion pour une catégorie entière de produits.
Auteur
BIDAUT Tiphaine
Historique
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